Notre mantra? Tout doit avoir de l’impact!

– Un interview avec Saydou Kalaga, CPO Hommes et Terre

Vous êtes sociologue?
Oui, et Kristoff est philosophe ! Mais ne vous inquiétez pas, dans notre organisation on travaille avec plusieurs ingénieurs forestiers. Ce sont eux que nous écoutons quand les décisions concernent le côté technique de nos activités.

Quel est votre rôle chez HT?
Je suis responsable de la recherche de nouveaux villages partenaires qui voudraient collaborer avec nous. Cela a l’air simple, mais ce ne l’est pas : non seulement ces villages doivent être d’accord avec nos conditions et avec notre manière de travailler, ils doivent également être prêts à signer un contrat de 25 ans. Je suis en quelque sorte un représentant et promoteur de HT qui veut montrer aux gens qu’il existe des solutions au problème de la déforestation et à ses conséquences socio-économiques. Je raconte l’histoire de HT et son approche et j’espère que les gens nous font confiance pour mettre à disposition leurs terres. Je ne parle pas uniquement aux villageois, mais égale- ment aux autorités coutumières et étatiques.

Une fois que les partenariats ont démarré, c’est à l’organisation de les concrétiser. Ils font cela, évidemment, sur base d’un programme systématique et transparent.

Comment êtes-vous arrivé ici ?
Avant HT, je travaillais comme consultant pour OZG (Ondernemers Zonder Grenzen ou Entrepreneurs Sans Frontières en français). Là, j’étais également responsable des partenariats.

Que s’est-il passé avec OZG ?
OZG est une ASBL belge, qui fonctionnait sur base de bénévolat. Le bénévolat était un critère très important pour eux, ils ne voulaient pas fonctionner sur base de contributions payées. Durant les dix ans où j’ai travaillé pour eux, ils ont fait entre 4000-4500 ha au total. Puis, Kristoff est arrivé en tant que consultant pour OZG. Nous nous entendions très bien et nous partagions l’ambition et l’envie de grandir et de nous professionnaliser, mais OZG voulait rester bénévole.

Nous sommes partis voir Ecosia pour leur parler de nos idées. Ils nous ont tout de suite soutenus et nous avons alors créé HT. Après, nous nous sommes entendus avec OZG pour reprendre leurs anciens sites.

Quelle est alors la différence entre HT et OZG ? Est-ce que c’était juste une question d’échelle ?
Les deux organisations ne sont pas du tout comparables. Là où OZG était une organisation basée sur du bénévolat, nous sommes maintenant une entreprise qui travaille comme telle. Nous avons une vraie organisation avec un programme et 50 employés. Mais la différence la plus importante réside dans le fait que notre modèle d’intervention n’est plus basé sur des donations. Nos relations avec les villages sont maintenant structurées en tant que partenariat d’affaires avec des investissements mutuels dans nos projets de restauration.

Le Sahel est actuellement une région qui connaît de nombreux conflits. Comment faire de la restauration dans une zone si compliquée ?
C’est vrai que ce n’est pas évident. Les gens ne vont pas s’occuper de la restauration des forêts quand ils sont menacés, et qu’ils ne savent même pas comment ils vont nourrir leurs enfants. Il y a une tension entre
le besoin d’aide d’urgence et les investissements que nous voulons faire pour l’avenir.

”JE SUIS EN QUELQUE SORTE UN REPRÉSENTANT ET PROMOTEUR DE HT QUI VEUT MONTRER AUX GENS QU’IL EXISTE DES SOLUTIONS AU PROBLÈME DE LA DÉFORESTATION ET À SES CONSÉQUENCES SOCIO- ÉCONOMIQUES.”
– Saydou Kalaga

Pourquoi est-ce que HT n’investit pas plus d’argent en l’aide de secours ?
L’aide de secours ne fait pas partie des compétences de HT. Il est non seulement important que nous nous améliorions dans la réalisation de nos propres objectifs, il est également essentiel qu’il y ait des parties qui font des investissements dans les villages de manière durable et sur le long terme, qui ne donnent pas uniquement de l’aide de secours éphémère après lequel les villageois sont livrés à eux-mêmes.

Est-ce que vous sentez vous-mêmes l’impact de ces conflits ?
À cause des conflits nous avons perdu deux membres de la famille de HT. Nous n’avons donc pas été épargnés par les conflits. En outre, il y a également beaucoup d’habitants de nos villages partenaires qui sont victimes des conflits et se retrouvent aujourd’hui dans des camps de réfugiés.

Cela doit rendre le travail beaucoup plus dur ?
Certainement, au moins 30 % de nos villages ne sont plus accessibles. Nous savons que nos forêts vont bien, mais c’est une maigre consolation. Malgré ces revers nous cherchons de nouvelles manières pour exister, nous sommes continuellement à la recherche de nouvelles régions avec moins de conflits.

Comment gérez-vous cette situation ? Comment protégez-vous vos employés ?
Pour ce qui de la sécurité de nos employés, nous ne prenons aucun risque et nous suivons attentivement les derniers développements et les dernières informations afin de pouvoir prendre des nouvelles mesures de sécurité quand nécessaire. Nous avons un grand réseau de contacts sur le terrain à qui nous pouvons faire confiance. Nous avons également une bonne relation avec les autorités locales qui nous tiennent au courant des nouveaux développements. Nous travaillons de manière très proactive. Dès que nous sentons le moindre risque, nous nous informons toujours avant de prendre des nouvelles décisions.

Qu’est-ce que des gens ou des institutions en dehors de l’Afrique peuvent faire pour contribuer à améliorer cette situation compliquée ?
Ce qui est surtout important, c’est l’attention publique qui est accordée à nos problèmes. L’apathie et le désintérêt par le reste du monde sont les plus grandes menaces. C’est au leadership africain de trouver des solutions propres, mais afin de garder cette problématique sur leur agenda, il est essentiel que le reste du monde soit impliqué et qu’ils soient au courant de ce qui se passe ici.

“NOUS OPÉRONS LÀ OÙ D’AUTRES STRUCTURES ONT ÉCHOUÉ : DES STRUCTURES ÉCONOMIQUES, POLITIQUES ET SOCIALES. C’EST NOTRE DOMAINE. L’IMPACT EST CENTRAL POUR NOUS, C’EST NOTRE MANTRA : TOUT CE QUE NOUS FAISONS DOIT AVOIR UN IMPACT.”
– Saydou Kalaga

Quels sont les défis pour résoudre les problèmes dans la région ?
Notre plus grand défi est le manque d’infrastructure dans la région du Sahel. Ce sont des infrastructures dynamiques qui lient les gens et dont nous avons besoin : pas uniquement les infrastructures physiques comme les autoroutes, mais également l’infrastructure au niveau des lois, des instituts et des programmes. Un deuxième grand défi est le manque d’un marché interne, ce qui rend l’entrepreneuriat très compliqué. La création de valeur ajoutée et de compétition saine est difficile à réaliser ici.

Comment pourrait-on décrire la relation entre HT et le gouvernement ?
Nous faisons partie de la société civile et nous collaborons donc directement avec les communautés locales. Nos accords sont des accords formels qui sont basés sur la liberté d’engagement. Le gouvernement n’a qu’un rôle de témoin qui confirme l’accord entre HT et le village en question.

Que pensez-vous de la situation politique actuelle ?
L’Afrique est toujours en train de chercher sa propre dynamique politique. Nous sommes emmêlés avec plusieurs concepts qui ne sont pas les nôtres. Prenons par exemple la séparation des pouvoirs : qu’est-ce que cela signifie dans un contexte où coexistent deux types de pouvoirs politiques complètement différents et séparés ? Dans les pays du Sahel il y a un pouvoir politique moderne et un pouvoir politique traditionnel, et là on ne parle même pas encore du pouvoir religieux.

Parlons aussi de la représentation, il y a énormément de clientélisme ici : j’ai l’impression qu’au lieu d’élire des gens pour être représentés au niveau politique, les citoyens élisent plutôt des gens ici afin d’être servis, afin d’en récolter quelque chose en retour, que ce soit des contrats, de la nourriture ou de l’argent. Ils attendent quelque chose en échange de leur vote.

L’Afrique a besoin de trouver sa propre voie au niveau politique et économique, une donnée prouvée par l’histoire récente au Burkina Faso.

Comment décririez-vous ce que vous faites ?
Nous opérons là où d’autres structures ont échoué : des structures économiques, politiques et sociales. C’est notre domaine. L’impact est central pour nous, c’est notre mantra : tout ce que nous faisons doit avoir un impact.

Quels sont vos plans pour l’avenir ?
J’espère que nous pourrons continuer à faire ce que nous faisons. Notre travail ne fait que commencer.